Très honorable Vladimir Vladimirovitch !
Conscient de vos innombrables obligations quotidiennes et de l’importance des problèmes que vous êtes amené à résoudre à chaque instant, je vous adresse cette lettre, à vous, chef de notre Etat. Elle m’est dictée par des circonstances extraordinaires. Je viens vous demander votre protection en tant qu’homme, musicien et citoyen.
Depuis plus d’un an, une situation tragique a fini par s’installer au sein de l’Orchestre symphonique d’Etat, que je dirige depuis près de quarante ans. Certains s’obstinent à affirmer que seuls des désaccords financiers et structurels en sont la cause.
Déjà, à la fin du mois de mai dernier, un programme explicite, fondé sur des suggestions que j’avais faites, avait été mis au point pour résoudre les problèmes survenus. Ce programme a été accepté par le ministère de la Culture.
Pendant longtemps, je ne parvenais pas à trouver d’explication au fait que le ministère mettait des obstacles à la réalisation du programme accepté par lui-même et se contentait d’observer les » militants » (membres de l’orchestre ou non) dissoudre méthodiquement l’équipe artistique qui représente pourtant une partie de notre patrimoine national.
Et seulement aujourd’hui, alors que j’apprends mon licenciement, je comprends enfin ce qu’il en est. La position, énoncée depuis quelque temps par le ministre adjoint Egorytchev V.V. et le directeur du département des Arts Skotorienko V.S. (ils avaient depuis longtemps décidé d’évincer Svetlanov de l’orchestre), eh bien cette position a retrouvé toute sa vigueur.
Malheureusement, le nouveau ministre de la Culture M.E. Chvydkoï a mis en œuvre cette intention en la traduisant » dignement » par la traque ostentatoire de l’artiste.
On impose à la conscience publique le fait mensonger de mon inactivité dans mon propre pays. C’est de cette façon que l’on a installé » avec brio » une situation qui m’interdit, depuis plus d’un an, d’apparaître dans une salle de concert de ma patrie. Même au Bolchoï, dont je suis le chef d’orchestre d’honneur, je ne vois en fait aucune perspective de création. Alors, qu’est que cela veut dire ? Evgueni Svetlanov est réclamé à l’étranger et reste sans emploi en Russie !
Je voudrais croire que je ne partagerai pas le destin de ceux de mes collègues qui ont été contraints d’émigrer.
E. Svetlanov, le 17 avril 2000.